jeudi 30 octobre 2014

L'Origine du blues : un autre extrait !



 Auteur d'Un os à ronger (collection Le Riffle), Marc Falvo ajoute à sa bibliographie un nouveau roman : L'origine du blues.







Un polar musical et bicéphale. Un polar, pas plus, pas moins. Noir jusqu’au bout des ongles. Et c'est dans votre collection Riffle Noir !
  









Extrait n°2

Nixe Kebab – 17h40

En se garant place Fernig près du métro Porte de Douai, Bruno a eu un pincement au cœur. Face à lui se dressait un lieu de culte, une sorte de cathédrale, le Nixe ayant été leur point de chute pendant les trois années du cabinet King. Bruno et Bélial y descendaient pour manger, passer le temps et discuter avec le couple de propriétaires. Des gens adorables. Toujours prêts à remonter le moral en berne de deux apprentis détectives qui ne détectaient pas grand-chose à l’époque.

Bélial taillait déjà une bavette quand Bruno a poussé la porte.

Une odeur agréable est vite venue lui chatouiller les narines. Celle de la nourriture en train de cuire ou des bons moments du passé, mais il ne voulait faire aucune place au souvenir. Ce n’était pas parce que Bélial avait accepté cette entrevue que leurs retrouvailles allaient couler tel un long fleuve tranquille, le taximan restait sur ses gardes.

Bélial racontait une histoire farfelue à base de secrétaire avide, de kebab froid et de four en panne. Bruno n’a pas tout compris. Bélial parlait fort et Harvin écoutait en hochant la tête, sa femme souriant derrière. Celle-ci, voyant Bruno, a ouvert l’un des compartiments frigorifiques, en a sorti la spécialité maison, une viande marinée à la Nixe, bien meilleure que le tout-venant du kebab auquel Bruno n’avait jamais été sensible. Chaque fois, avant, il prenait le sandwich spécial et aujourd’hui, elle sortait la viande comme s’il ne s’était écoulé qu’un jour depuis leur dernier repas chez eux, pas trois ans… Contre toute attente, Bruno en a été touché au cœur.

– Alors, tu vois. Je reviens.
– D’accord… D’accord, monsieur King…

Même si Bruno et Bélial étaient des habitués, Harvin n’avait jamais osé les appeler par leur prénom. Conséquence drôle, il les appelait tous deux Monsieur King.

 – Installez-vous, a dit le patron. J’arrive…

Bélial et Bruno ont hésité. Entre se serrer la main ou une accolade. Ni l’un ni l’autre ne maîtrisait la situation, on aurait pu croire que se retrouver après tout ce temps aurait nécessité des circonstances plus solennelles, mais ils ont juste été s’asseoir. Ils n’ont pas échangé un mot.

Harvin est venu prendre leur commande. Bélial a choisi un kefta sauce andalouse, Bruno le sandwich spécial. Avec des frites et deux bières. L’un comme l’autre ignorait l’heure précoce pour dîner, et peut-être que le cérémonial se trouvait là. Manger au Nixe Kebab. Face à face. Faire comme si rien n’avait changé, comme ces joueurs d’échecs reprenant une partie laissée en stand-by pendant dix ans sans accorder d’importance à la parenthèse.

– On va éviter les discours, tu veux ?

Bélial aurait aimé ouvrir le bal mais Bruno s’est montré plus rapide.

– Je suis sûr que tu as entendu parler du meurtre hier d’un auteur, Jacob Arbogast.

Il a laissé à Bélial le temps de répondre. Sans succès.

– Bon, il a continué. Quelqu’un veut me mêler à cette histoire. Je ne sais pas pourquoi, mais je sais comment. Et vaudrait mieux qu’on mange d’abord.

Bélial a haussé les sourcils. Bruno sentait son comparse plus que captivé par la chose, tout en voulant cacher sa curiosité légendaire. C’était un test. Une lubie. Le mieux était encore de continuer sans espérer qu’il renvoie la balle.

– Je vais te dire tout ce que je sais. Et j’attendrai ton avis.

Bélial ne réagissait toujours pas.

– Ton avis de détective…
– Ex.

Bruno a froncé les sourcils.

– Je suis plus privé.
– Mais tu… T’as pas changé de numéro.
– J’y habite encore.

Bélial a perdu sa bonhommie.

– Je suis journaliste, maintenant.

Bruno avait du mal à croire Bélial capable d’abandonner sa vocation première.

– Je trempe dans les mêmes saloperies sauf qu’au moins quelqu’un me paye.

Et Bélial de ricaner sans entrain.

– Si tu veux tout savoir, en ce moment je suis sur la mort de ce mec. J’ai trouvé quelques trucs mais je patauge, et putain… Moi aussi, j’aurais besoin d’aide.

Harvin a choisi ce moment-là pour poser deux assiettes pleines à ras bord face à eux. Pour un retour en force, c’était réussi. Le patron du Nixe voulait fêter la chose à sa manière, en gavant les compères de bouffe chaude et huileuse. Bruno est resté abasourdi par la nouvelle, d’une sincérité inattendue. Et Bélial lui a piqué une frite. Il avait toujours aimé voler dans l’assiette des autres.

Il a fallu deux heures et deux bières de plus pour que chacun raconte son histoire en détail. Entretemps, le lieu s’était rempli, d’habitués ou d’anonymes, les ventres de passage faisant un détour par le Nixe Kebab avant de s’engouffrer dans l’immense cube du métro aérien, sortir en boîte, chez des amis. Et plusieurs fois une impression étrange s’était emparée d’eux… Autant Bruno que Bélial reconnaissait, sans le dire, que quinze ans d’amitié indéfectible – proche d’une communion fraternelle, d’un parfait mimétisme – ne s’effaçaient pas facilement.

Leurs conclusions sur le meurtre d’Arbogast, et l’implication forcée du taximan, concordaient. Ce serait le premier d’une série – à la longueur variable – et à travers ces crimes, le tueur passait un message. Personnel. Politique. Une révolution ou une vengeance, avec Bruno au milieu.

(…)

D’une part, Bruno ne voyait pas en quoi cette mort le concernait. Même si l’envoi des photos affirmait le contraire. Et pourquoi impliquer quelqu’un sans le tuer ? En admettant qu’il y ait un lien, pourquoi ne pas l’avoir liquidé tout de suite ? Ils étaient à la fois perdus et curieux. Au-delà de l’horreur, quelque chose d’irrépressible les poussait au train. Une envie, pas de justice, non… Celle de se colleter du boulot dur, du vrai boulot de privé à l’ancienne. Boulot dangereux et clandestin. On allait leur faire aucun cadeau et la marche de manœuvre semblait fine, un vrai numéro d’équilibriste au-dessus de la fosse aux lions, mais en fait tout valait mieux que leurs petites existences routinières, ces quotidiens mornes qu’ils subissaient l’un et l’autre.

– Et maintenant, qu’est-ce qu’on fait ?

Bélial rassemblait ses forces.

– Deguelt, le milord de la librairie… Faut y retourner. Le bousculer un peu.

– Ce soir ?

Bélial n’a pas hésité.

– Règle numéro un : Battre le fer tant qu’il est chaud.

– Merci, vieux.

Le journaleux s’est raidi.

– Je bosse surtout pour moi, a-t-il lâché d’un ton sec.

Des deux, Bruno se montrait toujours plus sentimental.

– Bien sûr, vieux… Mais merci.

Ils ont payé et sont partis. Bélial gardait un rictus figé sur la face. Bruno a compris que se perdre en familiarités, pour l’instant, ne servait à rien. Ils ont parlementé une plombe pour savoir qui conduirait, et quelle voiture, et si l’habitacle serait fumeur. Et si on allait mettre de la musique. Du blues. La radio. Aucun ne voulait lâcher un centimètre par principe. Ou par peur. Tant que ça restait dans le détail, le flot de paroles coulait, mais si jamais quelqu’un s’avisait de lancer un truc trop personnel, faire dévier ces retrouvailles sur le pourquoi du comment, les causes, les blâmes, alors ce serait la fin de tout. Rien de tel que le pinaillage en règle, le pilonnage éhonté des portes ouvertes pour maintenir une bonne ambiance.

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mardi 28 octobre 2014

L'Origine du Blues : un premier extrait !



 
Auteur d'Un os à ronger (collection Le Riffle), Marc Falvo ajoute à sa bibliographie un nouveau roman : L'origine du blues.
Un polar musical et bicéphale. Un polar, pas plus, pas moins. Noir jusqu’au bout des ongles. Et c'est dans votre collection Riffle Noir !
  












PREMIER EXTRAIT

Prologue

Les persuadés





La première fois que Bruno et Bélial King ont bossé ensemble, c’était au collège. L’un a triché sur l’autre – on n’a jamais su lequel – et ils se sont fait choper tous les deux.

Dans le bureau du proviseur, Bélial, quatorze ans, a blâmé la fatalité, les avanies du système scolaire, un cruel alignement de planètes. Bruno déjà, préférait le silence. Leur problème a été réglé avec une paire de baffes et quelques heures de colle. En sortant du bureau, ils se sont assis sur un banc, honteux, surtout en colère.

– Pas exactement… 
– Exactement…
– PAS exactement. 
– C’est-à-dire ? 
– T’es pas exactement un enfoiré. 

Bruno s’est jeté sur Bélial. Ils se sont battus. Bélial a gagné.

Ce genre de traquenard crée des liens. Les ados, d’humeur solitaire – l’un par choix, l’autre par défaut – sont devenus inséparables. Ont collectionné petites joies et grandes déconvenues et jamais ils n’auraient nié que leur duo, malgré certaines différences, les rendait plus forts, au moins dans les bagarres, l’appréhension de la puberté, cette vie en général.

A quinze ans, Bélial sortait sa première fille, plus âgée de deux classes. Une rousse. Bruno a tenu la chandelle, en plus le film était une daube. A seize ans, Bruno conduisait. Il prenait la voiture de son père et s’offrait de longues balades en solo. A dix-sept, après avoir lu Le grand sommeil de Chandler, Bélial s’est acheté un vieil imperméable. Certains élèves, dont une paire de terminales, ont ri. Il a perfectionné son crochet du gauche.
– Pas exactement… 
– Exactement…
– PAS exactement. 
– C’est-à-dire ?
– Quand même, il est pas exactement à ta taille…

Bélial s’est jeté sur Bruno. Ils se sont battus. Bélial a gagné.

Bien sûr, King n’est pas leur vrai nom.

Clause de style, rien de plus. Leroy et Leroi pour un cabinet de détectives, ça faisait un peu trop prime time du lundi soir sur TF1 alors les deux jeunes mecs ont cherché quelque chose de plus classe lorsque s’est présentée la chance de réaliser enfin leur rêve, après des bacs moyens et deux cursus universitaires avortés. S’associer contre le crime et surtout pour la gloire, gavés qu’ils étaient de films, romans noirs et séries policières.

Sous leurs noms en lettres d’or, la plaque du bureau portait l’inscription :

The thrill is gone

Hommage à leur bluesman favori. La déférence courait jusqu’au patronyme. Bruno et Bélial King. Initiales B.B. King. The thrill is gone. C’était plutôt cohérent.

A vingt-cinq ans donc, Bruno et Bélial ouvraient leur cabinet.

A vingt-sept ans, ils rencontraient Dina mais c’est une autre histoire.

A vingt-huit ans, le cabinet fermait.

Pourri par les dettes, la routine crasse et le malheur. Encore une fois, Bélial a crié au loup, à leur géographie hasardeuse, c’est vrai qu’on était loin de Boston, Los Angeles, New York, il a encore mis ce foutu alignement de planètes sur la table. Lille, le Nord n’étaient juste pas assez grands ni assez biens pour eux. Bruno est parti. Bélial a voulu continuer seul, et donc s’est planté seul, une seconde fois. Bruno est devenu taxi, Bélial journaliste – pour rentabiliser son appareil photo – et ils ne se parlaient plus, ne se voyaient guère, se seraient ignorés au plus profond de l’abîme… Cette histoire commence à l’aube de leurs trente-et-un ans.

Alors que la métropole lilloise engourdie se prépare à fêter la naissance d’un barbu prophétique et qu’un pauvre type se fait salement buter dans la luxueuse suite d’un palace de province. Etouffé, émasculé, ligoté au lit King size, cloué par une tige d’acier inoxydable à ce même lit. Sur le ventre. Planté. Epinglé. Avec, mutilant son dos nu, un sordide et curieux tatouage… Tête de mort. Gravée. A la pointe de couteau, et sans anesthésie. Aucun doute, c’était une offrande de taille à la froide saison naissante, une sacrée nouveauté au catalogue automne-hiver des cinglés. Sans compter les trois mots, Bye Bye Butterfly, écrits sur le mur blanc de la chambre avec le propre sang du mort, calligraphiés par un tueur qui juste après a disparu, bien sûr, seul dans la nuit déserte… Envolé. Dissipé. Une ombre.

Imaginez les cris de la femme de chambre, au petit matin. Cette employée modeste chargée du réveil de la star, coqueluche des salons, toujours entre deux trains, deux cocktails, habituée à recevoir les honneurs, de sa région d’abord puis du pays entier.

Le sang. Partout. Le corps meurtri.

Les draps souillés, et cette expression de terreur.

Je vais mourir.

Voilà ce que les yeux révulsés du cadavre hurlaient.

Là, tout de suite, je suis juste en train de passer à l’as.

La femme de chambre en a lâché son plateau d’argent, qui s’est écrasé au sol. Le pot de café noir s’est répandu sur la moquette, deux toasts dorés à point se sont brisés en mille miettes et le beurre a fondu. Les croissants chauds ont eu le temps de refroidir.

Un cri strident, puis un autre.

Une course précipitée.

La pauvre femme de chambre hurlait à tout rompre, elle a réveillé la moitié de l’étage. Les autres résidents n’osaient plus ouvrir leurs portes. Quelqu’un a appelé la police. En revanche, personne n’a appelé les paparazzis mais ils sont venus quand même. 


Bientôt, un second extrait !




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