mercredi 5 octobre 2011

Aparté: Quatre extraits à la suite...

Richard Albisser est l'auteur 
de Fou contre tour 
et 
d'Eclipse d'une nuit d'hiver.

Dans le cadre de l'opération Écrire-Béthune 2011, suite à des ateliers d'écriture avec des jeunes et des seniors, il a publié en septembre dernier dans la collection Riffle Nord:


Le blog Riffle Noir met un coup de projecteur sur Quatre à la suite, car sous le chiffre 4 s'y raconte des enquêtes criminelles. Quatre joueurs de carte, quatre points cardinaux pour quatre histoires:

Les menaces d'une lettre anonyme mises à exécution quatorze ans plus tard, un coffre chargé d'or découvert pendant la Grande Guerre et aussitôt volatilisé, la profanation d'une tombe vieille de plusieurs siècles, six jeunes détectives mobilisés pour sortir un innocent de prison...




Extrait 1

Contexte


    Au sud de Béthune file, comme un ruban, l’autoroute A26 qui, depuis Calais, passemente la France d’accents british et dont le tracé rectiligne passe à un jet de mottes du lieu-dit du moulin de Gosnay où la Lawe , à l’ouest, se sépare en deux branches : la Brette et la Blanche. Ce n’est ensuite qu’à la hauteur du moulin d’Annezin qu’elle trouve à réunir ses deux bras ; à partir de quoi, elle prend un cours oblique qui finit par couper au nord, précisément à Essars, le train tranquille du Canal d’Aire. Au centre-ville, s’érige, symbole des libertés communales, le beffroi qui a servi de modèle à l’emblème qu’on retrouve sur les armes de la région et donné son nom à un cercle de bridge installé à une centaine de mètres de là.

[…]

Présentation des Quatre


    Un quatuor d’habitués se donnaient rendez-vous chaque vendredi au club du Beffroi et leur ordre de présence relevait d’un rituel qui répondait aux contraintes de leur charge. Tout d’abord, à 19 heures pétantes, le réceptionniste apercevait le nez de Jacques Marmotet, plus précisément Jacques Hector Marmotet au regard de l’état-civil, détective privé ou agent de recherche comme il le disait quand il ne manquait pas de remettre à un possible client une carte de visite. Sa personne était plutôt bien faite : le cheveu roussâtre et souple, le retroussis des lèvres d’un rose pâle, la silhouette élancée, malgré la disgrâce d’un appendice nasal disproportionné dont enfant il avait beaucoup souffert et qui surmontait une longue et fine moustache dorée qu’il effilait en volutes d’un geste de dandy. D’un esprit naturellement tempéré, il piquait cependant des colères noires quand il perdait au jeu. Aussi l’avait-on au Beffroi un jour surnommé Lahire. Son agence se situait à Béthune, impasse Paul PAUL, quasi à l’angle du boulevard Poincaré. Les affaires de fraudes, en presque trente ans de métier, avaient nourri un quotidien au fond très ordinaire. Il comptait auprès d’une compagnie d’assurances sa principale clientèle et regrettait parfois le temps où l’adultère était reconnu auprès des tribunaux pour faire pencher la faveur d’une des parties en divorce, ce qui également pimentait quelque peu son train-train journalier. Appareils photographiques, moto légère adaptée aux filatures discrètes et voiture à vitres fortement teintées pour les planques constituaient son outil de travail. Sans oublier le dictaphone qu’il remettait ensuite au soin de Sidonie Marquant, son assistante, une vieille fille revêche assez hermétique aux nouvelles technologies puisqu’elle utilisait exclusivement son antique Adler pour taper les rapports de son patron. Issu d’un papier carbone qu’elle dégradait par souci d’économie pour ainsi dire jusqu’à la corde, chaque double était scrupuleusement stocké dans les archives de l’agence. En été, Jacques jetait, en pénétrant dans la salle du club, avec désinvolture, sur la première chaise venue, sa veste de vieux lin et en hiver, il déposait délicatement sur le porte-manteaux du vestibule, qui venait de recevoir son cache-nez noué, une étrange redingote. Des langues perfides susurraient qu’il se donnait des airs à la Vidocq.

    Environ un quart d’heure plus tard, c’était le tour d’Hélène Judith Lagache, quarante-deux ans, juge d’instruction au tribunal de Douai et habitant rue du Parc à Barlin. De fines lunettes à verres miroir grossissaient légèrement ses yeux en amande d’un bleu profond. Blonde et très blanche de peau, elle contrastait sa nature pâle par le port de vêtements majoritairement sombres, pantalon de cuir, gilet de satin anthracite, mante de zibeline. Elle compensait sa petite taille par la chausse de talons dont elle cassait couramment l’aiguille en se tordant la cheville. Indulgente, téméraire, lumineuse aussi bien dans l’exercice de sa fonction que dans l’analyse de ses dossiers, elle était une râleuse impénitente si bien que seul le tirage au sort avait permis dans les premiers temps de lui trouver au club un coéquipier. Une main invisible assignait alors ce rôle à Jacques si bien qu’au Beffroi, on avait fini par ne plus croire au hasard. Puis la force de l’habitude avait supprimé l’usage de la courte paille. Hélène et Jacques, l’une râleuse et l’autre colérique, formaient donc la première paire Nord-Sud de ce quatuor de bridge.

    Dans la foulée d’Hélène arrivait au pas de charge le commissaire Emile Alexandre Fouquereuil, dont on ne distinguait que les cernes sous les yeux quand il ne fulminait pas sa mauvaise humeur. Un coup de fil de dernière minute, au bureau, qui lui pourrissait son vendredi soir, un rapport farfelu de la patrouille Locon et Vendin qui n’en ratait jamais une, une incartade de madame Fouquereuil, assez dépensière, et qui le contrariait beaucoup, un SMS de son fils ou de sa fille qui, à trente ans et des, le sollicitaient encore au-delà du raisonnable, ou un ennui de voiture, tout était déclencheur chez lui de dérangements qui le rendaient bout à bout insomniaque et bougon. En toute saison, il accrochait sa sempiternelle casquette écossaise à la patère et confiait au cintre son pardessus d’un beige douteux mais dont la toile était impeccablement repassée. À cinquante-cinq ans, Emile aspirait à une retraite paisible dont il causait énormément avec des idées de pêche à la mouche, loin des tracas de la ville.

    Beaucoup plus tard, pour des raisons de transport, puisqu’il venait de Loos, après avoir salué d’un geste cérémonieux les autres tables, s’excusait avec une même formule chaque semaine ressassée, bon, bien, d’accord, Pierre-Louis Sanylski, jeune directeur d’un établissement pénitentiaire au sud de Lille. Désolé, la route, vous comprenez… L’heure de rendez-vous était en effet convenue à 19h30. Pierre-Louis empiétait systématiquement de vingt-cinq bonnes minutes en expliquant avoir été bloqué sur la N41. Oui, nous savons, tu as été bloqué au départ de Lille, répliquait en chœur le trio qui avait de ce fait instauré la pratique de rejouer pour l’esprit quelques parties de la semaine précédente dont Pierre-Louis était le mort. 

[…]
 

Affaire racontée par Pierre-Louis

MORT À L'OUEST
 CARTE DE DER : L'AS DE PIQUE
    Le vendredi 15 avril 2011, Pierre-Louis Sanylski arriva au club plus tôt qu’à son habitude et au grand étonnement des trois autres. Lorsque les quatre joueurs furent réunis, il suggéra de se mettre à l’écart dans le boudoir.
    – Bon, bien, d’accord ! Ce n’est peut-être pas utile de se mettre en quarantaine mais voilà, j’ai des choses à vous raconter.
    Il expliqua que mercredi vers 10h du matin, un gardien l’avait averti d’une tentative de suicide d’un de ses prisonniers comme cela arrive, hélas !, trop souvent dans les établissements pénitentiaires. Il s’agissait de Gustave Picard, le braconnier récemment inculpé du meurtre d’Annezin.
    – Le pauvre type, quasi SDF, qui vivait dans un abri de fortune, c’est cela ?, tenta de préciser Jacques.
    – C’est la Gendarmerie qui a rondement mené cette enquête. Emile, à quatre ans de la retraite, n’avait pas franchement remué ciel et terre pour voir ses services s’occuper de ce dossier.
   – Peut-être un peu vite, lâcha Pierre-Louis avec un souffle de dépit. Heureusement que le pauvre s’en est sorti aujourd’hui. Je crains que sa tentative ne soit un appel au secours.
    – Ou un aveu de culpabilité ! Hélène pointait une autre interprétation possible. Je crois savoir que les preuves sont accablantes. Son crime sera reconnu aux Assises de Saint-Omer et il aura peu de chances du côté du pourvoi en appel. Il lui restera peut-être l’espoir de la Cassation. Malheureusement, son avocat est un commis d’office qui ne mouillera pas la chemise pour le sortir de là.
    La remarque d’Hélène jeta un froid. La Justice restait peut-être à la marge une affaire d’argent.
    – Bref, je me suis rendu ce matin à son chevet…
    – Et alors, qu’est-ce qu’il raconte ?, demanda Jacques intrigué par les propos de Pierre-Louis.
    – Eh bien… Comme il a l’habitude de braconner du côté d’Annezin et comme il est un des derniers à poser des collets de seigle, très reconnaissables, la malchance a voulu qu’on retrouve, à proximité du cadavre du malheureux marinier, plusieurs de ses pièges.
    – Ah oui ! Ce marinier qui faisait la navette entre les carrières de Hollande et la Cristallerie d’Arques.  Jacques avait suivi de loin cette affaire à travers les articles de journaux. Il transportait, je crois, principalement du sable et stationnait de temps en temps au port de Béthune.
    – Oui, et on l’a retrouvé poignardé, le corps flottant dans un marais, ajouta Hélène.
    – Seulement, le capitaine Labourse a retrouvé chez Gustave Picard l’arme du crime, scanda Emile.
    – Oui, on a retrouvé un Opinel et les experts ont simplement reconnu que la lame était compatible avec l’arme du crime.
    – Sans compter que des effets personnels du marinier, notamment sa montre et son portefeuille, ont été également découverts dans le taudis dudit Gustave, enfonça le commissaire. Cela fait beaucoup pour un innocent…
    – Fatalitas ! comme disait Chéri-Bibi, insinua Jacques que le souvenir de cette lecture de Gaston Leroux associée à une célèbre série télé des années 70 plongea dans une douce nostalgie.
    – On ne peut rien pour ce pauvre bougre, ronchonna Emile, si ce n’est faire confiance à la Justice populaire.
    – Comme Seznec ou Ranucci, claqua Pierre-Louis dont le ton de la voix montait d’un cran.
    – On ne va pas se disputer… Faisons plutôt une première partie pour nous échauffer ! Jacques sentait le moment venu de calmer les esprits. Il ne pouvait toutefois pas résister à un méchant calembour. Il s’empara des cartes, les battit avec vigueur et sollicita Emile pour la coupe. Il les distribua une à une et chacun les rangea selon la convention du bridge. Le directeur de Loos, l’as pique en main, remonta les manches de sa chemise de basin puis annonça avec dépit :
    – Passe.
    – Passe, dit à son tour penaudement Hélène.
    – Un pique !, tonitrua le commissaire.
    – Passe, conclut Jacques en soupirant sur la pauvreté de son jeu.
    Les annonces en restèrent là. Hélène entamait avec la dame de carreau tandis que Pierre-Louis étalait en quatre colonnes ses cartes face sur le feutre…

bientôt, un deuxième extrait à la suite!


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