lundi 26 septembre 2011

La Mort au détail... en détail ! Second extrait

Riffle Noir vous propose un second extrait 

au coeur du polar de Dirck Degraeve




" On va bientôt liquider les Pères Noël à Saulmères."




13


   L’obscurité était tombée sur la campagne dénudée quand ils sortirent de Saulmères. La circulation les avait retardés sur les quais. C’était l’heure où l’on rentrait chez soi dans la lassitude du soir, avec la perspective réconfortante de déposer ses soucis quotidiens au pied de l’écran plat. Lorsqu’ils longèrent le canal à grand gabarit, la coulée sombre de l’eau à peine ridée doublait la route d’un trait épais et funèbre, sans même les illuminations d’une péniche pour en rompre l’uniformité. À Saint-Momelin, ils obliquèrent vers la forêt dont les grands arbres dépouillés semblaient les gardiens d’un culte révolu. Après deux kilomètres environ, ils aperçurent une longue file de voitures sur le bas-côté. Ils se garèrent derrière elles. Un gendarme les salua et ils le suivirent sur un sentier invisible de la route. À quelques centaines de mètres, une trouée s’ouvrait dans la futaie. Elle était crûment éclairée par les projecteurs. Un périmètre de sécurité avait été aménagé et l’IJ était déjà au travail. Jacobsen reconnut Stalloni à côté de Gantois, le légiste. À les voir ainsi absorbés, il comprit que la viande froide avait été accommodée selon une recette inédite et surprenante, même pour ceux qui vivaient dans l’ombre du crime et côtoyaient la mort violente sous ses formes les plus sordides.
   –     Lieutenant Wattiez. L’officier était grand, maigre, le visage allongé marbré par le froid. Ses yeux noirs les fixaient sans manifester la moindre émotion mais des mouvements brusques de ses mains démentaient cet apparent détachement. Les cadavres ont été découverts vers quinze heures trente. Le garde-chasse faisait une ronde avec ses chiens. Les victimes avaient été dissimu-lées sous un tas de feuilles mortes, à la hâte manifeste-ment. Il a cru qu’il s’agissait d’un animal. Il est encore en état de choc.
   Ils se dirigèrent vers l’endroit où l’activité de la ruche se concentrait. Jacobsen sentait le rythme de ses pulsa-tions cardiaques s’accélérer comme à chaque fois qu’il était confronté à la dépouille de l’un de ses semblables décédé dans des circonstances dramatiques. Gantois leva la tête, les traits crispés par la concentration et par un évi-dent dégoût qui transparaissait dans le ton et l’altération de la voix.
   – Je vais vous montrer les restes. Pas beau à voir, je vous préviens.
   Il enleva prestement les plastiques qui les protégeaient d’une pluie fine. De larges traînées de sang maculaient le sol couvert de débris végétaux. Les corps avaient été démembrés, lacérés et fendus, littéralement éviscérés. Parmi les bras, les jambes, les mains, on distinguait deux têtes aux yeux grand ouverts. Elles semblaient prendre les assistants à témoin des préjudices qu’on leur avait infligés et attester qu’ils étaient bien en présence d’êtres humains et non d’animaux de boucherie destinés à l’étal. Jeanine s’était rapprochée de Jacobsen et s’agrippait machinale-ment à son bras en le serrant convulsivement. Elle était devenue toute blanche et semblait prête à tourner de l’œil. Lechantre lui-même avait pâli. On distinguait des cernes brunâtres sous ses yeux saillants. Il restait immobile, fasciné par cette mise en scène macabre et grotesque.
   – La tâche s’annonce difficile, expliqua Gantois. Il faudra reconstituer les corps à l’Institut. Ils ont été découpés à l’aide d’une lame tranchante, un sabre, une machette, une hache peut-être. Il n’y a pas trace d’arme à feu en apparence.
   – Ils étaient déjà morts quand on les a dépecés ?
   – Les examens nous l’apprendront. Vous admettrez aisément que le mot autopsie me paraît presque impro-pre. Notre criminel – je penche pour un homme seul – a largement entamé le travail, pour brouiller les pistes, à mon avis. Les a-t-il préalablement assommés avant de commettre ces atrocités ? Cela reste à déterminer. Il faudra également voir s’il les a attachés. Je ne dispose que de trois mains pour l’instant et les recherches se poursui-vent aux alentours. Il semblerait qu’il ait dispersé d’autres organes qui nous manquent. Quant à l’heure... début d’après-midi mais là aussi c’est très vague.
   –     Pouvaient-ils être plusieurs ? Vous avez découvert quelque chose, Stalloni ?
   – Vous voulez rire, commandant ? Le sol est recouvert partout d’un épais tapis de feuilles mortes. Avec la pluie... Le sentier est étroit et il a été successivement foulé par le garde-chasse, les gendarmes, nous... Si je peux me permettre, je songe au scénario suivant. Il les a débarqués en bagnole le long de la route. Personne ne passe ici en hiver au milieu de la journée. Il les a chopés avant et les a neutralisés en les ligotant sous la menace d’un flingue. Il les a ensuite amenés ici. Il devait avoir repéré l’endroit. Son choix n’est pas le fruit du hasard. Il les a tués directement avec sa machette. Pour simplifier, il les a carrément décapités. Il les a détachés, a enlevé les bâillons s’il y en avait et a ôté leurs vêtements. Vous remarquerez que les nippes sont entassées à quelques mètres des restes qui eux sont éparpillés. Et il s’est acharné sur eux. Il devait être dans un état second, enivré par la vue et l’odeur du sang, mais son plan était prémédité.
   – Vous voulez dire que ça pourrait constituer une espèce de message ou de signature ?, intervint Lechantre.
   – Ce sera à vous de le prouver, commissaire. À moins qu’il ne s’agisse d’un aliéné. Rien n’est à exclure.
   – C’est effectivement ce mode opératoire qui me semble étonnant, reprit Jacobsen. S’il avait uniquement voulu les éliminer, la machette – prenons-la comme hypothèse – et la boucherie n’étaient pas nécessaires. Il veut terroriser par cette violence absolue tous ceux qui seraient susceptibles de nous délivrer un renseignement ou de lui échapper s’il exerce sur eux une emprise. Il s’agit probablement des Africains qui se sont enfuis lundi. Ils circulaient au hasard en essayant de retrouver Saulmères ou de gagner la frontière.
   – C’est plausible. Jeanine avait surmonté son envie de vomir et de tomber dans les pommes en essayant de suivre le débat et de se concentrer sur le problème. Le tueur, celui qui a blessé Deneuville, était à leurs trousses. Il a osé sillonner le secteur en voiture malgré le risque d’être intercepté. Il les a attirés en leur promettant une seconde chance. Vous devinez la suite. Si quelqu’un a aperçu une Mercedes blanche par ici, nous aurons confirmation que les deux affaires sont liées.
   – Ça ne fait aucun doute mais ce que nous avons sous les yeux ne s’accorde pas avec le travail d’un pro, rétorqua Jacobsen. Les deux scènes sont en totale contradiction. D’un côté, nous sommes confrontés à un type plein de sang-froid qui se sort d’une situation désespérée en prenant l’autoroute à contresens et, de l’autre, à un cinglé qui cède à des pulsions incontrôlées. J’ai du mal à concevoir que le même homme se soit livré à des actes aussi incompatibles.
   Un mouvement s’opéra derrière eux. La juge Rotrou venait d’arriver sur les lieux. Elle était vêtue de bottes noires, d’un jean et d’un long manteau de laine beige clair. Elle ne cilla pas à la vue des cadavres morcelés et écouta avec attention les premières constatations des uns et des autres. Jacobsen ne put s’empêcher d’admirer sa capacité à gérer ses émotions. Elle se lâcherait ce soir, devant sa bouteille de cognac et en écoutant du jazz.
   – La trace est sanglante mais identifiable, résuma-t-elle. Nous n’avons cependant aucune certitude puisque ces deux personnes sont sans identité à l’heure actuelle. Nous montrerons les photos de leurs visages aux migrants. Notons qu’il ne les a pas défigurés. Un oubli de sa part ? Voulait-il au contraire qu’on puisse les reconnaître au besoin pour effrayer ? C’est à étudier. Mais je partage votre point de vue, ce sont les deux types qui nous ont échappé lundi soir. Ce qui revient à dire que leur bourreau est probablement leur chauffeur. Ils représen-taient un danger dans la nature et les passeurs ne pouvaient actuellement les transporter en Grande-Breta-gne. Nous avons renforcé tous les contrôles, toutes les fouilles pour perturber le réseau. D’où leur élimination brutale. De qui s’agit-il ? Nous avons affaire à forte partie. Une banale filière d’émigration clandestine se serait con-tentée de couper les contacts avec ces malheureux en espérant qu’on les extrade au plus vite. Que trafiquent-ils ? Mystère... Malou participait-il à ces activités qui nous échappent ? Ou sa mort n’est-elle qu’une pure coïncidence et n’interfère-t-elle pas du tout avec ce qui vient de se dérouler ici ? Vous constatez comme moi que l’enquête se complique de jour en jour. Nous allons laisser les scientifiques à leurs investigations avant qu’ils évacuent les dépouilles. Nous attendons vos conclusions avec impatience, pour l’autopsie notamment. Elle s’était tournée vers Stalloni et Gantois. Procédez-y toutes affaires cessantes. Je veux les premiers résultats dès demain, idem pour les analyses. Pour ma part, je suis attendue chez le procureur. Cela prend des proportions inquiétan-tes. Nous avons peu de monde et un individu hyper-dangereux évolue en toute tranquillité autour de Saul-mères. Un pro selon les uns, un fou selon les autres. Il nous faut du renfort, une brigade spécialisée entraînée aux cas extrêmes. On ne peut pas continuer à ramasser les morts. La mèche est allumée et je ne tiens pas à ce qu’elle aille jusqu’au tonneau de poudre. Nous sauterions également, je vous le rappelle. Jacobsen, je vous attends demain, à neuf heures précises.


Le premier extrait de La Mort au détail est à lire >>>> ICI

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