lundi 13 décembre 2010

L'Éclipse d’une nuit d’hiver continue - extrait n°2

Chères Lectrices, chers lecteurs

Riffle noir continue sa plongée au cœur d’Éclipse d’une nuit d’hiver. Sans autre transition, nous vous laissons en compagnie d’un deuxième extrait.

Bonne lecture !
Riffle noir



Éclipse d’une nuit d’hiver
Extrait 2
  
– Valérie Valet à l’appareil, je voudrais porter plainte pour assassinat sur la personne de mon mari. La voix recelait une froideur glaciale qui pétrifia son interlocutrice. Ce sentiment intérieur d’une chute de mercure qui perce les viscères. Passez-moi, s’il vous plaît, M. Steenmann.   L’agent Doutriaux sortait de l’École de Police et avait été recrutée à Roubaix pour rééquilibrer les effectifs dans le sens d’une parité hommes-femmes longtemps mise à mal par les préjugés. Elle ne s’attendait pas pour le moins à une telle entrée en matière. Le manuel n’avait pas prévu ce cas de figure. Elle bafouilla une vague excuse, le temps de placer la communication en attente. Valérie Valet fut priée de rester en ligne, une espèce d’inanité sonore remplie peu à peu par un mouvement de violon où elle reconnut Vivaldi sans qu’elle eût pu jurer pour autant de la saison qui s’y jouait. Une pluie drue cogna incongrument la vitre des fenêtres avec un bruit de cordes. 
– C’est une dame pour vous, commandant. Elle prétend qu’on a assassiné son mari. Caroline eut le sentiment étrange de se retrouver propulsée par un Simenon invisible dans le bureau de Maigret. Elle vous demande personnellement, ajouta-t-elle ensuite.  
Gilbert Steenmann devenu le bras droit de Steg, le divisionnaire, venait de commander auprès du brigadier Saniette un énième café quand le téléphone sonna. Il fit signe à Doutriaux de décrocher. Une nouvelle recrue qui avait avantageusement remplacé Ramos muté sur la côte. Elle portait l’uniforme féminin, chemisier blanc, cravate et pantalon bleu noir. Elle s’empara du combiné en libérant une mèche épaisse de cheveux qui lui masquait l’oreille. La nuque légèrement inclinée, prévenue par une diode verte qu’elle prenait une ligne extérieure, elle annonça un Commissariat de Roubaix, j’écoute suffisamment appuyé pour botter en touche s’il s’avérait qu’elle avait affaire à une jérémiade anodine ou bien à un tuyau percé.
  – Tiens donc ! répliqua le commandant en se redressant depuis son siège de moleskine.
   En voilà une affaire ! Il s’empara du sans-fil que la jeune femme lui tendait et s’annonça à l’emporte-pièce : Steenmann, j’écoute.
   Valérie Valet répéta mot pour mot, si ce n’est à la lettre, ce qu’elle venait de dire à l’instant et demanda si elle pouvait le voir dans une heure au commissariat. Il était difficile voire impossible dans ces conditions de refuser. L’agenda de Gilbert pour cette Saint Valentin indiquait une présence avec une mention générique traitement des dossiers en cours. En cours, ça donnait un ton professoral même s’il ne s’agissait pas d’enseigner l’algèbre ni de transmettre un savoir déterminé par une matière. Dossiers en cours, ça égrenait le temps qui passe en accordant à la conscience un champ suffisamment restreint, en tout cas assez délimité pour ne pas échapper aux chemises officielles dûment numérotées. Chacun sait que l’ère postindustrielle se caractérise en ce qu’on achète désormais des hommes non leurs bras mais leur veille comme si en face d’une liberté vertigineuse dont ils ne capteraient que la brume ou la vanité ils n’avaient qu’une hâte, celle d’aliéner la course naturelle de leurs rêves et de leurs désirs.
   Gilbert n’avait pas vu l’heure passer quand le planton vint le prévenir que madame Valet l’attendait. Il vit surgir dans son bureau une femme brune de taille moyenne avec une coupe de cheveux à la garçonne, vêtue d’un jean et d’un pull noir à large maille. Le visage comportait quelques taches de rousseur et un regard noisette reflétait une brillance de l’iris peu commune. La pupille semblait vous piquer comme on épingle un lépidoptère.
   – Gilbert Steenmann, enchanté ! La poignée de mains fut franche et respectueuse. Un flic par définition semble toujours vous octroyer à la première rencontre un capital de points qu’il pourra à loisir abroger au fur et à mesure qu’il vous questionne ou qu’il vous connaît.
   – Je sais qui vous êtes. J’auditais les comptes en juin 2006 au siège du groupe Soulier. Je vous ai croisé quand vous étiez en compagnie de Marie Menaud. Cette entrée en matière propulsa le commandant un an et demi en arrière et la mémoire a ceci d’étonnant, c’est qu’elle est capable a posteriori de situer quelqu’un qui n’avait pas alors attiré particulièrement votre attention.
   – L’assistante de Thierry Morfit...
   Elle acquiesça.
   – Mon poste au contrôle de gestion m’amène à me déplacer souvent dans les magasins. Je revenais d’une mission quand je l’ai vue vous remettre quelque chose sur le parking. Mais, ce n’est pas le sujet. Sa voix avait tremblé.
   – Eh bien, je vous écoute…
   – Voilà, mon mari a été victime aux dires de tous d’un accident sur le lieu de son travail. Il est mort pendant le trajet qui l’amenait à l’hôpital. C’était il y a dix jours. Vous avez peut-être lu l’article dans Nord Éclair.
   – J’en ai un peu entendu parler. Une de nos équipes s’est rendue sur les lieux. Rien d’anormal n’a été remarqué, à ma connaissance.
   – En effet, aucune suite n’a été donnée au plan criminel puisqu’on a conclu à une erreur humaine. José son contremaître… Comme vous l’imaginez, il vit très mal cette situation. C’est lui qui range les palettes au chariot élévateur. Bruno était au mauvais endroit au mauvais moment, c’est ce que pense tout le monde. On cherche aussi à m’endormir avec les larges indemnités qui s’ensuivent. Mais José maintient qu’il n’a commis aucune faute. Quelqu’un aurait pu très bien saboter le matériel. Elle avait dit ça en étant peu sûre de la justesse du mot…
à suivre avec... un troisième extrait!

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