vendredi 19 novembre 2010

Sortie Lens-Est - extrait


Bonjour à toutes et tous,

Voici donc l'extrait annoncé du polar d'Éric Lefebvre: Sortie Lens-Est.

Bonne lecture,

Riffle Noir.


Sortie Lens-Est
Extrait: Retour aux Deux pôles

    Au paradis, y a forcément la clim !, se dit soudain Stanislas Kabbalevski en sortant un Kleenex, le dernier, de l'étui posé sur le siège à côté de lui. Et c'est pour ça que c'est le paradis.
    Il tenait le volant d'une main et de l'autre s'épongeait le visage et la nuque. À peine avait-il terminé qu'il sentait déjà de nouvelles gouttes de sueur lui courir dans le cou et le long des joues. Sa chemise, moite et collante, lui faisait comme une deuxième peau. L'air était si chaud qu'il lui desséchait le fond de la gorge et, malgré le Perrier tiède qu’il buvait à petites lampées, il avait la bouche aussi pâteuse que celle du gars qui essaie de traverser à pied la Vallée de la Mort. Il esquissa un sourire. La Vallée de la Mort, la Californie, Venice beach, le roi lézard ! Il augmenta le son de l’autoradio et les premières mesures de Riders on the storm envahirent soudain l’habitacle. Un peu de pluie, enfin ! Depuis qu'il avait quitté Paris au volant de sa vieille Triumph, une Herald, il roulait toutes vitres ouvertes pour essayer de capter un peu de fraîcheur et regrettait, oh ! juste un peu, de ne pas avoir un cabriolet, style TR3 ou Spitfire.
    – Pour une journée d'été, c'est une belle journée d'été, lui avait affirmé le gérant de la station d'autoroute où il avait fait le plein. Mais croyez-moi, y a de l'orage dans l'air.
    Jim n’aurait pas dit mieux.
    En attendant, il n'y avait pas le moindre nuage à l'horizon. Un ciel bleu immense écrasait la vaste agglomération qui se déroulait presque sans interruption le long de l'A21. Quelques chevalements dressaient encore leurs armatures de métal au-dessus des maisons, quelques cheminées fumaient sans discontinuer et çà et là, la pointe d'un clocher perçait la trame particulièrement serrée des habitations. Quelques minutes plus tôt, à Hénin-Beaumont, il avait dépassé le terril de la fosse Sainte Henriette, cet immense cône de scories qui semblait vouloir se répandre sur l'autoroute. De retour des vacances, dans le midi, c’était toujours celui-là qu’on apercevait en premier. Sentinelle oubliée aux portes sud du bassin minier, impassible, il dominait de ses cent trente-six mètres les millions d'automobilistes qui défilaient à ses pieds.
    Kabbalevski prit la sortie Lens-Est et suivit la direction de Saint-Martin-Sur-Deûle. Quinze ans déjà qu’il avait quitté la région après la disparition de son père, mort dans l’explosion de l’usine où il était contremaître. Un regrettable accident, comme avait dit à l’époque le directeur de la Compagnie. Sa mère qui souhaitait se rapprocher de sa famille l’emmena alors vivre à Paris, rue des Pyrénées. Un Ch'timi aussi sec naturalisé Parigot. Quelques années plus tard, il devenait tout de même l’inspecteur Stanislas Kabbalevski, Police Judiciaire. De taille moyenne et plutôt athlétique, ce brun aux yeux bleus avait des pommettes légèrement saillantes et un menton à la Kirk Douglas qui faisait tout son charme.
    Le clap du passage à niveau laissa dérouler les wagons monotones d’un train de marchandises. Stanislas à l’arrêt devant la barrière comme devant l’écran d’un vieux film songeait à son père qui, après toutes ces années, le ramenait à Saint-Martin : quelques semaines plus tôt, sa mère avait reçu une lettre qui l’informait d’une procédure de déplacement de sépultures ; celle de Mietec Kabbalevski faisait partie du lot. La présence d'un membre de la famille était nécessaire pour l'exhumation. Une tombe dans un endroit un peu à l'écart. Le seul encore planté d'arbres. Cinq ifs majestueux, presque immémoriaux, vivaient sans doute leurs derniers instants sur terre.
    Le calendrier défilait pesamment sa première semaine de juillet. La plupart partaient à la mer ou à la montagne. Stanislas Kabbalevski avait rendez-vous avec un mort.
    Les barrières se relevèrent. Il passa la première, embraya et quitta la banlieue immédiate de Lens en suivant la voie de chemin de fer qu'il abandonna bientôt sur sa droite. Il traversa une vaste plaine tout entière livrée aux champs de céréales, dépassa le hameau du Calvaire pour arriver, après avoir parcouru une deuxième section de plaine, en vue de Saint-Martin. Il s’arrêta sur le bas-côté et gagna à pied un petit tertre d’où l’on découvrait la ville dans son ensemble. Endroit de prédilection de valeureux instits qui y conduisaient leurs élèves pour une leçon de géo en plein air. Saint-Martin est situé au fond d’une cuvette. Une cuvette ! Ça voulait dire que quelle que soit la direction choisie pour en sortir, il y avait toujours une pente à gravir. Et si les plus chanceux, ou les plus tenaces, réussissaient, faut bien reconnaître que la majorité restait à croupir au fond. De la ville, on n'apercevait de prime abord que les toits, le clocher de l'église et le petit beffroi de l'Hôtel de ville reconstruit après la première guerre mondiale. Noyée dans les brumes de chaleur, on devinait dans le lointain, la masse imposante des installations industrielles qui s'étiraient d'est en ouest, le long du canal de la Deûle. Kabbalevski compta machinalement les cheminées autour de la centrale. Onze. Il lui sembla qu’il y en avait une de trop...
    Depuis toutes ces années, Saint-Martin avait eu, du moins en apparence, le temps de se moderniser. Le pâturage sur lequel Stanislas jouait au football quand il était gamin avait été remplacé par un gazon haut de gamme et méritait désormais le grade de complexe sportif tandis que le Café des sports qui accueillait les troisièmes mi-temps était maintenant précédé d'une résidence pavillonnaire qu'on avait pompeusement baptisé le Clos du vieux moulin. Nom à la mords-moi le nœud dégoté par quelque promoteur spécialiste d’appellations d’origine non contrôlée…

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